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Au pied du micro, une petite flaque, nappe de sueur, gouttes d'eau de vie, d'une vie qui saigne et perle de chacun des pores de la peau écorchée de tout son corps tordu, entortillé tel un linge, gargouille ruisselante au-dessus d'une fosse... C'est Brel dans son "tour de chant". L'image la plus forte qu'on puisse imaginer et retenir. L'image indélébile, celle qui ne sèche pas.

Brel, en scène, est l'être de chair, de sang et d'eau qui, tout d'abord, laisse beaucoup de lui-même sur place - physiquement parlant. Il perd son eau, son sel, une part de son poids - et pas du tout négligeable : cinq à six cents grammes en un peu plus d'une heure, une heure seulement, et il en abandonne les traces à ses pieds, au bas du micro. S'il a beaucoup transpiré, s'il a autant postillonné que craché son venin d'amour d'homme révolté, il ne s'est guère éloigné du piquet dressé devant lui, un micro qui n'avait alors rien de baladeur...

Vingt ans après sa disparition, plus de trente ans après ses adieux à la scène, comment pareille image d'un homme en état de transe sudatoire donne-t-elle une idée de son art scénique ? C'est un souvenir semblable qu'évoque le guérillero du rock que fut Joe Strummer, du groupe Clash. "Quand je repense à Clash, je n'ai aucune image, aucun son... Je me souviens seulement d'une intensité extrême et de la sueur". La sueur, les rockers connaissent ! Et on pourrait croire qu'ils n'ont pas à envier celle de Brel... Si ! Car la leur s'éparpille partout sur la scène, s'égrène d'un élément du "matos" à un autre ; la leur se répand et s'évapore dans les fumigènes lumineux. Elle n'est pas là, dense, compacte, pièce à conviction du corps mouillé, de la chemise inondée, du coeur essoré, de l'âme trempée. Devoir paraître en scène conduisait Brel, régulièrement, à vomir en coulisses. Etre en scène l'amenait à se vider, toujours, là où il se plantait, droit, debout, seul. Il fonçait et il fondait...

Pierre FAVRE

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Discographie :


Chez Philips (33 tours) :

GRAND JACQUES ( 1955)
La haine- Grand Jacques- Il pleut - Les carreaux - Le diable ( ça va ) - Il nous faut regarder - C'est comme ça - Il peut pleuvoir - Le fou du roi - Sur la place - S'il te faut - La Bastille - Prière païenne - PHI 6325-202

QUAND ON A QUE L'AMOUR (1957)
L'air de la bêtise - Qu'avons nous fait bonnes gens - Pardons - Saint pierre - Les pieds dans le ruisseau - Quand on a que l'amour - J'en appelle - La bourrée du célibataire - Heureux - Les blés - Demain l'on se marie ( la chanson des célibataires) - PHI 6325.203

AU PRINTEMPS ( 1958 )
Au printemps - Je ne sais pas - Dors ma mie, bonsoir - Dites si c'était vrai - Le colonnel - L'homme dans la cité - La lumière jaillira - Litanies pour un retour - Seul - La dame patroneuse - La mort - PHI 6325.204

LA VALSE A MILLE TEMPS ( 1959 )
La valse à mille temps - Je t'aime - Ne me quitte pas - Isabelle - La tendresse - La colombe - Les flamandes - L'ivrogne - Marieke - Le moribond - Le prochain amour - Vivre debout - PHI 6325.205

LES BOURGEOIS ( 1961 )
Les prénoms de Paris - Clara - On n'oublie rien - Les singes - Voir - L'aventure - Madeleine - Les biches - Les paumés du petit matin - Zangra - La statue - les bourgeois - PHI 6325.206

Chez Philips (45 tours) :

* Ca va ( le diable ) - Grand Jacques - La haine - Sur la plage - ( orchestre d'André GRASSI ) PHI 432.018 BE

* Il nous faut regarder - Il peut pleuvoir ( orch. A. GRASSI ) - La Bastille ( orch. André POPP ) - Qu'avons nous fait bonnes gens ? - Les pieds dans le ruisseau - S'il te faut - ( orch. Michel LEGRAND ) PHI 432.043 BE

* Les blés - Dites si c'était vrai ( poème )- Prière païenne - Quand on a que l'amour - Saint Pierre - ( orch. M. LEGRAND ) PHI 432.126 BE

* L'air des bêtises - La bourrée du célibataire - Heureux - Pardons - ( orch. A. POPP) PHI 432.260 BE

* Demain l'on se marie ( la chanson des fiancés) orch. A. POPP - L'homme dans la cité - La lumière jaillira - Voici ( orch. François RAUBER ) - PHI 432.260 BE

* Au printemps - Je ne sais pas ( avec les choeurs " la joie au village " ) - L'aventure - Voir - ( orch. F. RAUBER ) PHI 432.326 BE

* Les dames patronesses - Ne me quitte pas - la tendresse - La valse à mille temps - ( orch. F. RAUBER ) PHI 432.371 BE

* La colombe - Les flamandes - Isabelle - Seul - ( orch. F.RAUBER ) PHI 432.425 BE

* Dors ma mie ( orch. A. POPP ) - Litanies pour un retour - Ne me quitte pas - Seul - ( orch. F. RAUBER ) PHI 432.517 BE

* L'ivrogne - Le moribond - On n'oublie rien - ( orch. F. RAUBERT ) PHI 432.518 BE

* Clara - Marieke - Les prénoms de Paris - Le prochain amour - ( orch F. RAUBERT ) PHI 432.531 BE

* Les bourgeois - Madeleine - Les paumés du petit matin - Les singes ( en public à l'Olympia ) - ( orch. Daniel JANIN ) PHI 432.766 BE

Chez Barclay (45 tours) :

Ne me quitte pas - Les biches 61676 / Madelaine - Rosa 61837 / Les bourgeois - Bruxelles 61838 / Le plat pays - les bigottes 61839 / Les vieux - Mathilde 61840 / La Fanette - Tittine 61841 / Jef - Au suivant 61842 / Les bonbons ( 1ère version ) - Ces gens là 61843 / Amsterdam - Jacky 61844 / La chanson des vieux amants - les bonbons ( 2ème version ) 61845 / Vesoul - La bière 61846 / Le moribond - Quand on a que l'amour 62023



En flamand : De nuttelozen van de nacht - Mijn vlakke land - De burgerij - Rosa - Barclay 70.907


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JEAN CORTI : "BREL EST MORT CENTENAIRE"(extraits de l'entretien)




Jean Corti a été l'accordéoniste de Jacques Brel à partir de 1960 ; c'est-à-dire pendant l'essentiel de la carrière du chanteur. A ce titre, il a donc participé à presque toutes les tournées du Grand Jacques, à l'exception de la fameuse tournée d'adieux, de l'automne 66 au printemps 67, date à laquelle il avait déjà choisi de quitter le groupe, pour se consacrer à des activités plus sédentaires.

Jean Corti : "C'était un ouragan ! Un ouragan qui a tout renversé sur son passage, qui a bousculé beaucoup de tabous, beaucoup de trucs dans le métier lui-même. Avec l'arrivée de Brel, la plupart des ringards - on ne va pas citer de noms - se sont retrouvés dépassés, finis, balayés !"

Si l'on parle souvent de Marcel Azzola, comme accompagnateur de Brel - surtout en raison de la formidable partie d'accordéon musette qui magnifie "Vesoul" -, il ne faut pas oublier que celui-ci n'a jamais joué sur scène avec lui, et qu'il ne figure que sur ses trois derniers albums (ceux de "J'arrive", des nouveaux enregistrements de juillet 1972 et des "Marquises") ; tous trois réalisés alors que Brel ne tournait plus. C'est donc Jean Corti que l'on peut entendre sur les deux albums en public de Jacques Brel à Olympia, en 1961 et 1964. Il n'y a pas (à ce jour, en tout cas) de disque de l'Olympia des adieux (octobre 1966) ; mais l'accordéoniste qui tenait l'instrument pour l'occasion était André Dauchy. Jean Corti a par ailleurs signé les musiques de certaines chansons de Jacques Brel, parmi les plus remarquables : seul ("Les bourgeois") ou en collaboration avec Brel et Jouannest ("Les toros", " Les vieux ", " Madeleine"), voire avec Gérard Jouannest seul (" Titine ").


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Brel par Brel (1961)

Il vient de chanter à l'Olympia où il battu tous les records de la Saison à Paris, une des plus brillantes de ces dix dernières années. Il est maintenant "l'un des plus grands". Pour les lectrices de "Marie-Claire, Belgique" (décembre 1961), il a raconté à Marie-France Wagner ses débuts difficiles, alors qu'il n'était qu'un cancre, un être insupportable, difficile ...

Je suis né le 8 avril 1929. J'aurais dû normalement naître au Congo où mes parents ont vécu vingt-cinq ans. Mais c'est aux environs de Bruxelles, à Schaerbeek, que j'ai poussé mon premier cri. J'étais à cet âge très doué pour les vocalises. Papa vendait du carton, il s'était associé avec mon oncle. Nous, la famille, nous étions installés en banlieue. Ma maison : je ne m'en souviens pas très bien. Je sais qu'il y avait beaucoup de tapis, il y en avait partout. C'est de là que remonte mon premier souvenir d'enfance. Je devais avoir trois ans, quand un jour ma tante Annette m'offrit un avion, un avion tout rouge, aussi rouge que le visage de tante Annette ; je l'adorais. J'aimais beaucoup cette maison, pour moi ce fut un drame quand il fallut la quitter.
Mes parents sont allés s'installer dans un appartement, boulevard Belgica. C'est à cette époque que l'on m'a mis pour la première fois à l'école. Le jour de la rentrée, j'ai tellement hurlé, j'ai tellement pleuré, j'ai tellement tapé du pied, que ma mère m'a ramené à la maison. Je crois que j'ai reçu ce jour-là la plus belle fessée de ma vie. Cette année-là, je suis allé très peu à l'école, cela m'ennuyait beaucoup trop. De nouveau nous avons déménagé. Cette fois ma mère me mit chez les bonnes sœurs, rue de Lourdes, et là j'y suis resté, j'ai même accepté de travailler. Je dois aux bonnes sœurs de savoir parfaitement mes tables de multiplication. Ensuite, on m'a placé dans une école de Frères. J'étais un élève très médiocre, le programme scolaire me paraissait dénué de tout intérêt et je préférais rêver ou fabriquer des lance-pierres derrière mon pupitre.


En 1940, je rentrai en 6e. J'avais un professeur qui était un Français de Toulouse, il s'appelait Bertrand. Nous l'avions surnommé "N'a qu'un-oeil". Le pauvre homme était borgne, mais il aimait la poésie, il se tuait à nous faire comprendre que c'était une jolie chose, alors que nous, qui n'avions que dix ans, nous nous en moquions éperdument. Aujourd'hui, cependant, je me rends compte que j'ai eu envie d'écrire grâce à lui, d'écrire grâce à lui, d'écrire mon premier poème et ensuite, d'écrire ma première chanson. Son langage me plaisait, il était le seul de mes professeurs à ne pas avoir l'accent prononcé de la province. Très vite, il fut obligé de rentrer en France à cause de la guerre. Moi, j'ai continué à écrire en pensant souvent à lui ; j'aurais tellement voulu le revoir. Je continuai mes études, qui devenaient de plus en plus médiocres. J'ai tout du reste redoublé toutes mes années. Ce qui comptait pour moi, c'était la bande, les copains. J'aimais aussi jouer la comédie avec un groupe du collège. Je faisais du football, du vélo, j'étais un démon, je ne pouvais jamais rester en place. Mes camarades m'avaient appelé "la Bougeotte", j'étais de tous les coups. J'étais survolté, impossible. Mes études en ont souffert mais j'ai quand même essayé de passer mon bac lettres, j'ai échoué, j'ai essayé de passer mon diplôme d'études commerciales, j'ai échoué encore une fois.
Mon père commençait à vieillir. Il me donna ma chance et me fit entrer à l'usine. Il voulait faire de moi un industriel, capable de lui succéder. Tout en travaillant, j'avais décidé de faire partie d'un mouvement de jeunesse. Nous allions tous ensemble le dimanche chanter dans les sanas, pour les malades. J'étais toujours en tête.
C'est dans ce mouvement de jeunesse que j'ai rencontré pour la première fois ma femme. Le soir du réveillon 1950, j'étais décidé, je demandais à Thérèse de m'épouser, j'avais alors vingt-et-un ans.
Nous nous somme mariés tout de suite. J'ai continué à apprendre à fabriquer et vendre du carton. Ce n'était pas très compliqué, mais à la longue ce n'était pas non plus très passionant. Cette épreuve a duré cinq ans. Je me sentais vieillir très vite, chaque soir je confiais à Thérèse ma lassitude. Un jour je lui ai posé la question :- Thérèse, je ne suis pas heureux, j'ai envie de chanter, d'écrire, de composer, de faire quelque chose ... quoi ! J'ai envie d'essayer de tenter ma chance. Thérèse m'a sourit gentiment. - Jacques, mon Jacques, je te veux heureux, tu dois essayer, tu dois réussir. La décision fut prise et je suis parti vers l'aventure avec tout l'amour de Thérèse, de Thérèse qui fut et qui est toujours pour moi le meilleur des publics. Oui, à ce moment-là, je jouais un peu de la guitare et j'écrivaillais quelques mauvais textes. C'était tout. Une fois seulement j'ai participé à un concours, les concours ne m'ont jamais réussi, je fus lessivé, rejeté, j'étais perdu.

J'ai également enregistré pour Philips, à Bruxelles, deux chansons. Mais ce n'était rien. Je savais que pour réussir, pour réussir vraiment, une seule ville comptait : Paris. J'ai pris un billet de 3e classe. Je n'avais pas les moyens. Dans le compartiment, j'ai avalé le sandwich que Thérèse m'avait préparé avant le départ. Je ne retrouverai jamais plus le goût de ce sandwich. Il était parfumé à l'aventure, à l'espoir, au bonheur.
Je suis allé directement voir M. Canetti, le directeur de la maison d'édition. Je ne savais pas du tout qui était M. Canetti. Je suis entré dans son bureau, il a eu l'air étonné. Je lui ai chanté mes chansons et je suis retourné à Bruxelles.
J'ai attendu patiemment. Puis, un jour, j'ai reçu une lettre à en-tête ; un bon rapport me disant que je pouvais essayer. A moi de réussir.
Je suis revenu m'installer à Paris, laissant Thérèse et mes deux filles. J'avais le cafard, mais il le fallait. J'ai fait mes tous premiers débuts aux "Trois baudets". La première soirée s'est très mal passée. Le public n'a pas réagi, c'était affreux. Les gens bâillaient ou discutaient entre eux sans me regarder ni m'écouter. Ils avaient sans doute raison, mais à l'époque je leur en ai beaucoup voulu. Puis ce fut le premier contrat, le premier cachet, le premier argent gagné avec ma voix et ma guitare.
J'ai fait venir ma femme et mes deux filles. Nous avons trouvé un petit appartement modeste, sans confort, mais nous y étions heureux tous les quatre. C'est alors qu'est née ma troisième fille. J'étais comblé.

En 1957, je suis passé à l'Alhambra avec Zizi Jeanmaire. J'avais le trac, un trac fou, je voulais partir sans chanter. Puis ce fut le succès, le vrai succès, grâce à "Quand on n'a que l'amour". Le public cette fois-ci m'écoutait, m'applaudissait. Le soir dans ma loge, j'ai pleuré pour la première fois de ma vie.
Thérèse et les trois enfants sont repartis pour Bruxelles et c'est là le plus beau cadeau que j'aie pu faire à mon pays, à ma véritable patrie : la Belgique. Souvent je vais les voir, chaque fois que je le peux, et, tout ému, je retrouve Bruxelles, les amis, le vélo. Réussir pour moi, c'est tout cela. Que serais-je devenu sans eux, sans Thérèse surtout qui un jour, dans un gentil sourire, a su me dire; "Jacques, mon Jacques, je te veux heureux, tu dois essayer, tu dois réussir !".


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AUTRES SITES


http://www.club-internet.fr/chorus/HOME2/NUMERO25/dossierbrel25.htm : dossiers sur Brel, extraits du magazine CHORUS : toutes les facettes du chanteur

http://www.ibelgique.com/jacquesbrel/index2.htm : une page personnelle, à voir

http://195.0.43.2/dossiers_sp/Brel/Brelintro.htm, "Il y a 20 ans Jacques Brel nous quittait" : archives du journal Le Soir et liens

http://www.habay.com/brel/interview/, une interview du chanteur







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