Le XX ème siècle a vu naître, grandir, penser Einstein, Sartre, Camus, Armstrong, autant d'humains qui ont participé à l'élévation globale de la pensée globale de la pensée hominienne.
Ce siècle de progrès social où l'humanisme éclairé domine, durant lequel toutes les ségrégations, haines, jalousies, inégalités, ont disparues, où tout homme est désormais l'égal d'un autre, la dictature n'étant plus qu'une relique poussiéreuse d'un obscurantisme rejeté dans les abîmes de l'oubli ...
Cependant maintenant que tous les enfants de la Terre sont nourris et élevés correctement, que tous les plus âgés sont en croisière, que chaque petite cellule sociale peut affirmer ses droits, conquérir la place légitime qui permet à ses valeurs profondes de s'épanouir, maintenant que les fous sortent enfin d'asile, les prisonniers de leur geôle, les femmes de leur claustration forcée, maintenant donc, il se trouve malheureusement une ombre énorme au tableau, une note discordante et criarde pour littéralement ruiner l'harmonie universelle de cette symphonie ...
Je veux parler de la condition actuelle dans laquelle on maintient les Brouettes .
Comment les esprits les plus éclairés de notre siècle n'ont pu, ou n'ont voulu, même une seconde, entendre les cris de souffrance de cette classe opprimée ?
Comment a-t-on pu passer outre les protestations indignées, les regards implorants, les demandes sans cesse répétées de la Brouette ?
On peut dire que la Brouette à été privée de la quasi-totalité des droits dont s'enorgueillit notre société. Humiliée, enchaînée, maltraitée, sous-estimée, et mal aimée, la Brouette s'est vu refuser par surcroît tout les droits élémentaires : droit à la défense, à la parole, à l'expression, droit de réunion, accès à la culture ...
Cependant la condition actuelle de la Brouette est due en grande partie à l'image que l'on veut se faire d'elle.
On a beau jeu de s'émerveiller de la docilité de la Brouette, à laquelle on a au préalable enlevé tout moyen de protestation !
La Brouette a toujours été, aux yeux de presque tout les hommes, un être humain de seconde classe, une catégorie organique que l'on pensait à jamais asservie et résignée, la Brouette a même souvent été considérée comme privée de raison, d'intelligence et de sensibilité !
C'est cette odieuse image populaire qu'il nous incombe, à nous humains égalitaires, de combattre. Tout d'abord, comme le montre le schéma ci-dessous, la Brouette s'apparente à l'homme, plus qu'à la planche de bois dont elle est génétiquement issue :
De l 'étude de ce document nous pouvons tirer des conclusions essentielles :
- que le 'cerveau' de la Brouette, centre de toute pensée ou sentiments, occupe 85 % de sa masse totale, alors que chez l'homme celui-ci atteint péniblement 15 %
- que la Brouette n'a pas de membres supérieurs. Ces organes, qui chez l'hominien, servent à frapper, tuer, tenir une arme, n'existent pas chez la Brouette
- que la Brouette a une capacité de déplacement réduite, de part l'évolutivité réduite de ses membres inférieurs
La Brouette, nous ne pouvons plus le nier, est un être diminué, sur le plan physique, par rapport à l'homme. Mais ô combien rattrape-t-elle ce retard lorsque l'on évoque sa spiritualité !
II) Spiritualité de la Brouette :
La Brouette pense.
Les multiples succès remportés par une petite équipe de savants courageux, animés de la volonté de démontrer cette affirmation, n'ont pu venir à bout des préjugés et des superstitions profondément enracinées chez l'hominien. L'intelligence de la Brouette est aujourd'hui un fait établit et reconnu par tout ceux qui, de bonne foi, en ont abordé l'étude. Encore faut-il noter que les expériences entreprises l'ont été sur des sujets intellectuellement diminués, je veux dire sur des Brouettes énervées par une trop longue captivité ...
La Brouette se distingue des autres outils hominiens par son esprit constamment en éveil, ses actes d'initiatives, sa curiosité perpétuelle. D'une manière générale, on sent chez la Brouette un grand besoin de découvrir le monde, désir que traduit, en son langage, un authentique besoin d'instruction.
Il nous faut aussi saluer la bonne humeur de la Brouette. C'est aux hommes, nous le verrons, qu'il appartient de ruiner cette gaieté originelle ...
Il faut tenir compte, lors de toute comparaison, des grandes difficultés qu'éprouve la Brouette à articuler le langage humain. Elles ne sont d'ailleurs que trop compréhensibles : qu'on songe à la peine qu'ont nos écolier à prononcer la langue anglaise, pourtant si proche de la notre !
De plus, l'hominien ne doit reprocher à la Brouette l'apparente stérilité de ses efforts, et encore moins les nier : en effet, a-t-on, du haut de notre noble science, jamais été capable de prononcer ni de comprendre un seul mot de Brouette ? Au moins la Brouette comprend-elle le langage des hommes, même si elle ne peut le parler ...
C'est donc à la Brouette qu'appartient l'initiative du dialogue.
Un autre obstacle que rencontre la Brouette sur son chemin pour s'intégrer dans la société hominienne est son absence de culture latine. Le quidam dira : " La Brouette peut sûrement penser . Mais elle n'a pas, comme nous, deux millénaires de culture latine derrière elle ! "
Les auteurs d'un tel discours soulignent bien à leur insu leur propre carence. A-t-on jamais donné à la Brouette la possibilité d'avoir accès à cette culture ? L'occasion même ? Le goût ? Rien n'a jamais été entrepris en ce sens : si la Brouette est virtuellement capable de tout ce à quoi atteint l'hominien, il ne lui manque, au fond, que les moyens ...
Une expérience effectuée par plusieurs scientifiques de renom a permis de mettre en avant la force psychique de la Brouette :
Une cinquantaine d'hominiens et une cinquantaines de Brouettes volontaires ont du porter pendant plusieurs jour quelque cinquante kilos de gravas sur leurs têtes. Les résultats sont les suivants :
On voit bien ici que contrairement à l'homme, la Brouette est capable d'un détachement spirituel très important, qui rivalise sans peine avec celui de nos plus grands spécialistes de la méditation.
III) Sensibilité de la Brouette :
Proche de l'hominien par son intelligence, la Brouette l'est encore plus par sa sensibilité. Plus que son esprit, c'est son cœur qui aurait du la ramener dans la société des hommes. Tout ce que l'homme ressent, la joie et la tristesse, le plaisir et la douleur, l'amour et la haine, la Brouette l'éprouve aussi ...
Il n'est que d'aller observer les Brouettes dans leurs obscures prisons. Tout les sentiments de la vie hominienne se peignent sur leurs traits. Au hasard des circonstances, on y verra apparaître la gaieté, la satisfaction, l'envie, le mécontentement, la détresse, l'amour propre blessé, la moquerie, souvent teintée d'une certaine goguenardise. A toute propos grivois ou malséant proféré par nous autres hominiens répondra immédiatement une expression dédaigneuse et méprisante, à moins que la Brouette, plus âgée, se contente de manifester un détachement supérieur, écho d'une mélancolique sagesse péniblement conquise sur ses désillusions. A une parole amicale, au contraire, répondra un remerciement plein de bonté, et toute plaisanterie innocente entraînera une franche gaieté .
IV) Perspectives :
Finalement la Brouette conserve toute sa spiritualité, son âme pure et proche de la bonté originelle, son intelligence, et ce malgré le traitement que l'homme lui impose.
Constamment obligé de se plier au désir humain, condamné à toujours rouler dans la même direction, à souffrir physiquement à cause des charges qu'elle porte péniblement, la Brouette doit être considérée comme LA classe sacrifiée de notre société.
Comment ne pas craindre, ne pas prévoir, ne pas comprendre son imminente révolte ?
Cependant il n'est pas encore trop tard, et ce moment peut être reculé, voire supprimé grâce à une prise de conscience collective qui aboutira à rendre à la Brouette sa place dans la société hominienne.